Comment j'analyse l'entraînement ? Throwback sur 2018

L’article ci-dessous tient à vous présenter différents outils d’analyse que j’utilise pour suivre et individualiser l’entraînement de mes athlètes.
Je prends comme support l’analyse de ma saison sportive 2018 pour vous expliquer quelques rouages de ma méthode. Bonne lecture ! ????

 

1) LE RADAR DE PERFORMANCE TRAININGSHARP :

La réalisation de tests pour évaluer le niveau actuel de mes athlètes est très importante pour moi afin d’avoir une objectivité sur leur progression sur 2 composantes (physique et technique).
A titre d’exemple, je vous présente ce que serait mon radar de performance sur cette année (voir graphique plus bas).

La construction du radar se fait à partir de 6 données de référence que j’ai sélectionné. 3 d’entre elles concernent la capacité à courir efficacement (économie de la foulée, données à partir du capteur Stryd), et 3 données sur le niveau physique (et physiologique).
D’autres données importantes ne sont pas dans le radar pour qu’il soit suffisamment explicite (temps de soutien @VMA et PC…).

  • VO2max (estimation) –> 71,9 ml/min/kg
    • De nombreuses études ont démontré que le VO2max est déterminant dans les sports d’endurance. Cependant, il faut noter que la relation VO2max-Performance est fondée en grande partie sur des études avec un niveau assez hétérogène. Quand les études se portent sur des groupes plus homogènes, la relation entre VO2max et performance sur des coureurs très entraînés (avec des performances de temps similaires), il semble y avoir peu de relation entre VO2max et la performance. Il est toutefois clair qu’une capacité aérobie très développée (VO2max) est une condition préalable pour une performance d’endurance, mais il y a des paramètres autres que VO2max qui seraient plus importants dans l’explication des performances d’endurance, comme par exemple l’économie de course (voir paramètres ci-dessous). C’est donc une donnée fiable pour évaluer le niveau d’un coureur, mais il ne faut surtout pas s’en réduire qu’à cette valeur !
  • PMA / VMA–> 5.9 W/kg / 20-21 km/h
    • La Puissance (et Vitesse) Maximale Aérobie est sans doute le paramètre le plus évalué sur le terrain. En effet, comme le VO2max, il permet de savoir le niveau d’un coureur de manière fiable. Cependant, sur des sports de plus longues durées (comme le trail), les études montrent que la PMA devient moins déterminante que d’autres paramètres (résistance musculaire, économie de course, réserves de glycogènes…), c’est pourquoi j’accorde plus d’importance aux valeurs seuils (type puissance critique) qui sont plus déterminantes en compétition que la PMA/VMA. Mais j’y apporte tout de même un intérêt car c’est la base !
  • Puissance/vitesse critique seuil –> 5.1 W/kg / 17,5 km/h
    • Calculée à partir de l’analyse de la relation distance-temps, c’est la plus haute puissance/vitesse qu’un coureur peut maintenir dans un état quasi-stable « sans fatiguer », soit environ l’allure sur 10 km pour un coureur lambda. Pour faire simple c’est une donnée calculée à partir des performances sur le terrain et qui se confondrait avec le MLSS (état stable max de la lactatémie) ou le SL2 (seuil lactique). L’intérêt de cette mesure est son faible coût, sa fiabilité (car proche de la réalité du terrain), et sa pertinence pour les sports de longues durées (type trail, course sur route…). C’est la donnée que je suis le plus !
  • Potentiel rebond @PC –> 0,156 LSS/kg
    • Le LSS (Leg Spring Stiffness) est une mesure de la manière dont un coureur recycle l’énergie élastique (dite « gratuite ») après l’impact au sol. Imaginez votre jambe comme un ressort pour rebondir sur le sol. Plus le ressort est rigide, moins vous devez produire d’énergie pour vous propulser à chaque pas. Cette valeur estime votre raideur musculo-tendineuse. C’est une donnée que je suis sur du long terme pour analyser l’évolution globale de l’économie de course. Ça permet aussi d’orienter des pistes de travail en cas de valeur trop faible (–> pliométrie).
  • Ratio Puissance Horizontale/Verticale @PC –> 75,23 %
    • C’est un paramètre lié à l’efficacité de la foulée. La puissance horizontale est la composante de la puissance externe brute qui est dirigée horizontalement. Qu’est-ce que ça veut dire ? Par exemple, si deux coureurs se comparent sur un 10 km et qu’ils ont tous les deux une puissance moyenne de 290W, le plus rapide sera celui avec le meilleur ratio, car une plus grande partie des 290W produits de cet athlète sont dirigés horizontalement. Je regarde cette donnée sur du long terme et pour identifier un point faible dans la technique de course.
  • Efficacité de la foulée @PC –> 0,937 kg/N
    • Il est calculé à partir du rapport entre la vitesse (en m/s) et la puissance (en W/kg). C’est donc la capacité à transformer l’énergie fournie en vitesse de déplacement. L’efficacité de la foulée est généralement située autour de 1 kg/N. Plus la valeur est haute, plus la foulée est efficace. C’est une donnée intéressante sur le long terme pour voir les progrès techniques en course à pied.

Radar de performance TrainingSharp

J’ai un niveau de bon régional/ moyen national en course à pied

 

Mon radar de performance permet de voir mes points faibles en tant que coureur. On voit que j’ai un niveau jauge autour de 70% (par rapport aux meilleurs coureurs) d’un point de vu physique, mais que j’ai une grosse lacune au niveau de ma technique de course. En effet on voit clairement que ma foulée n’est pas aussi efficace qu’un pur coureur et que c’est mon gros point faible. On peut expliquer ça facilement étant donné que je viens de la course d’orientation et que ma foulée s’est plutôt adaptée au tout terrain et au terrain instable.

La technique de la foulée et l’économie de course sont des paramètres TRÈS DIFFICILES à améliorer (prise en compte de paramètres anthropométriques impossible à changer) et cela demande du temps et du travail. Mais je sais ce qu’il me reste à travailler pour 2019 😉

 

2) LES PROFILS DE PERFORMANCE (PLAT ET MONTÉE) :

C’est grâce à ces deux courbes que je peux créer les zones d’intensité à l’entraînement (modèle à 7 zones, voir plus bas)
Ci-dessous, voici un graphique avec deux courbes que je regarde avec intérêt, surtout pour les traileurs.

Le profil de performance record est dissocié en 2 courbes, une à plat et une en montée. C’est fondamental de pouvoir dissocier le niveau de performance à plat et en montée dans l’entraînement en trail (et sans oublier la technique et la résistance musculaire en descente). Ça permet d’ajuster parfaitement les allures en fonction de l’objectif de la séance et surtout de savoir comment gérer son pacing en fonction de la pente pendant les courses.

Dans mon cas, on voit que j’ai plus de 30W de différence (334W vs 299W) entre ma puissance critique sur le plat et en montée. Cette différence s’explique par une fatigue musculaire plus importante en montée car plus de groupes musculaires sont mobilisés pour une puissance similaire à plat, et il y a moins d’effet économie et énergie gratuite en montée vs plat. En revanche, sur des durées plus courtes, il est possible de produire plus de puissance en montée car justement il est plus facile de recruter plus de fibres musculaires pour pousser plus fort, comparé au plat où on est vite limité par la vitesse et la technique de course.
Pour résumer, en montée je pousse plus fort mais moins longtemps. Il faudra bosser mon endurance de force en 2019 pour essayer de me rapprocher de ma puissance critique à plat !

Profil de performance à plat (rouge) et en montée (jaune)

 

Les 2 courbes modélisées par mon logiciel d’analyse (WKO4) me permettent de construire les zones d’entraînement de manière entièrement individualisées et mises à jour tous les 90 jours en fonction de la progression. Pour chaque athlète, j’ai donc 2 tableaux avec leurs zones d’entraînement, pour le plat et la montée ! Ça me permet de cibler avec précision les bonnes zones d’intensité à l’entraînement et de planifier le pacing en course.

Ci-dessus, mes zones d’entraînement actuelles (début 2019) sur le plat (je reviendrai sur le choix de ces zones dans un autre article)

 

 

3) ANALYSE DE MA SAISON 2018 :

C’est bien joli de faire des tests, de s’évaluer, de connaître ses zones d’entraînement… mais comment on sait si on s’entraîne correctement ? Comment on sait que la planification est pertinente et que les charges sont bien manipulées ?
Je vous livre ci-dessous une analyse de ma saison 2018 avec les principaux indicateurs que j’utilise pour analyser la modulation des charges d’entraînement :

 

 

 

 

On dirait le profil altimétrique d’un trail, non ? J’ai eu de belles phases d’entraînement comme expliqué ci-dessous, mais aussi des jolis creux comme le montre mon niveau de performance (VO2max et PC) qui a oscillé entre 300 et 326 W (et entre 67 – 72 ml/min/kg) cette saison. Je garde toujours un œil à ces données pour savoir le travail qu’il me reste à faire et aussi de me situer par rapport à mes valeurs basses et hautes que je connais. Par exemple on voit que j’ai bien repris la préparation fin 2018, mais qu’il me reste du chemin à faire pour retrouver mes valeurs hautes de 2018 pour être performant à mon niveau.
L’intérêt de suivre ces données (comme avec le radar de performance TrainingSharp) sur du long terme est de mieux se connaitre et de pouvoir remettre dans le contexte les performances réalisées au cours de la saison.

Analyse de la saison avec le Ramp Rate, un indicateur que je surveille particulièrement

 

J’utilise le « ramp rate » pour analyser l’évolution de la condition physique en fonction des charges d’entraînement. Cet outil représente la valeur d’augmentation ou de diminution du CTL (chronic training load), soit pour simplifier : « la condition physique » (si vous souhaitez en savoir plus sur le sujet des charges d’entraînement et des ratios de contrôle, je ferai un article là-dessus).
Il est calculé à partir du Training Stress Score (TSS), qui est lui même calculé à chaque séance (en gros, le TSS, c’est la charge de travail d’une séance en fonction de la durée et de l’intensité).
J’utilise le TSS pour moi, mais je préfère utlisier le TRIMP (Training Impulse) avec mes athlètes, car il prend en compte le ressentie de l’athlète, et ça c’est primordiale pour connaître son athlète. En tout cas, l’exemple de l’analyse qui va suivre reste la même.

Sur le graphique on voit 3 zones sur la partie haute (rouge, vert, et jaune). La zone « idéale » d’entraînement se situe entre 0 et 3 TSS/week (zone verte).

Une valeur proche de 0 signifie qu’on s’entraîne juste ce qu’il faut pour maintenir sa condition physique, le risque de blessure et de surentraînement est donc très faible, mais la progression est vite limitée.

En zone rouge, au-delà de 3 TSS/week, la charge d’entraînement devient trop dangereuse (ratio progression/risque de blessure peu recommandé). Alors oui, la condition physique va grimper plus vite (théoriquement), mais l’Acute:Chronic Workload Ratio (ACWR) va vite passer dans le rouge comme un signe plus propice de surentrainement et de blessures. C’est le moment de lever le pied car le jeu n’en vaut pas la chandelle (parole de sage 😉 ). J’essaie de ne jamais dépasser les 3 TSS/week avec mes athlètes, sauf cas exceptionnel comme par exemple avec une prépa d’une traileur ultra, mais de toute façon ça ne dure jamais longtemps (2-3 semaines max), et le programme est bien réfléchi. Je préfère que mes athlètes gardent toute leur intégrité physique quitte à prendre plus de temps pour atteindre le niveau de forme visé.

En zone jaune, en dessous de 0 TSS/week, c’est un signe que l’entraînement est trop light pour maintenir la condition physique. Soit on est en phase d’affûtage et dans ce cas c’est tout à fait normal car le but est de réduire la fatigue accumulée par l’entraînement, soit on est en plein dans le désentraînement (phase 3, 6, 8 et 11 pour moi cette année) et il faut recadrer l’entraînement (sauf si c’est une blessure, il faut d’abord la soigner).

Cette année, je suis passé en zone rouge deux fois en début de saison. (1 et 2) La première fois lors d’un stage d’entraînement un peu chargé en Espagne (plus de 700 Training Stress Score, TSS) début janvier 2018. Ce qui m’a valu une petite blessure quelques semaines plus tard (3). Ça montre encore bien que le risque de mettre des grosses charges d’entraînement ne vaut pas vraiment le coup, même si parfois « ça passe »…

De Février à Avril, on voit que j’ai pu mettre en place ma meilleure phase d’entraînement de l’année (4 et 5) dans le cadre de ma préparation aux sélections en équipe de France de CO.
Ensuite, on voit bien la phase de repos et de « désentraînement » suite aux courses de sélections (6), qui était nécessaire pour me reposer et surtout soigner une blessure au tendon d’Achille qui m’empêchera par la suite de répondre présent sur la Tiomila (une des plus grosses courses populaire de CO) avec mon club suédois OK Denseln.

La deuxième phase de préparation et de compétition (7) sur Mai-Juin-Juillet a été bien gérée, sans prise de risque sur la charge d’entraînement (entre 0 et 2 TSS/semaine). Cette phase bien optimisée (jamais plus de 400 TSS par semaine) a été plutôt payante avec quelques bons résultats en CO et en Trail (vice-champion de France longue distance, podiums en Trail, podium sur OOcup – une compétition internationale de CO…) et surtout aucune blessure ni surentraînement ! Ça confirme ma philosophie qu’un entraînement bien optimisé et sécurisé reste plus intéressant sur du long terme car il permet de limiter les risques tout en étant performant !

La dernière partie de la saison (9) fût plus chaotique par manque de temps et d’objectifs particuliers (8 : Vacances + 2ème place Trail relais UTV ; 10 : championnats de France CO ; 11 : coupure de fin de saison). J’ai plutôt essayé de maintenir ma forme tant bien que mal… Il n’y a pas que l’entraînement dans la vie ????

Maintenant place à la saison 2019 et à la fixation de nouveaux objectifs ! Me concernant, les objectifs seront tournées vers un peu de CO, et surtout du Trail, où je vais essayer d’arriver plus performant ! ????